Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/430

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Il part donc avec son manuscrit et arrive devant celui qui souriait, avec un signe d’adhésion, quand on l’appelait le Corneille du boulevard. La pièce lue : « C’est bien inexpérimenté, dit le juge, mais il y a de l’intérêt. Il manque un prologue ; je m’en charge. Jeune homme, ce n’est pas tout de faire un bon dîner, il faut savoir mettre le couvert. »

Quelques jours après, Victor Ducange montra le prologue à Goubaux, qui, en sa qualité d’universitaire et de professeur, ne put s’empêcher de remarquer certaines privautés un peu trop cavalières prises par l’auteur avec la grammaire et la syntaxe. Il en hasarda timidement l’observation, qui lui valut cette réponse :

« Mon cher monsieur, dès que c’est moi qui ai écrit cela, c’est bien. »

Goubaux s’inclina.

L’effet de la première représentation fut immense. Toutes les anciennes règles dramatiques s’y écroulèrent comme au son de la trompette de Jéricho. Une route nouvelle était ouverte, et Goubaux, révélé à lui-même par ce succès, tenta bientôt un pas de plus dans la même voie.

C’est une qualité bien singulière et bien spéciale que le talent dramatique. Il ne se lie nécessairement à aucune autre faculté intellectuelle. On peut avoir beaucoup d’esprit, beaucoup d’instruction, beaucoup de talent d’écrire, et être absolument incapable de faire une pièce. J’ai vu des hommes d’une haute valeur, d’une grande culture littéraire, m’apporter des drames et des comédies qui semblaient partis de la main d’un