Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/448

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ouvrages immortels sortis, armés de toutes pièces, d’un seul cerveau : Œdipe-roi, Macbeth, Polyeucte, Britannicus. Mais n’y a-t-il pas, même parmi les chefs-d’œuvre, des pièces de théâtre produites par l’association de deux génies ? Le Cid n’est-il pas de Corneille et de Guillen de Castro ? Iphigénie n’est-elle pas de Racine et d’Euripide ? Phèdre, de Racine, d’Euripide et de Sénèque ? Connaissez-vous beaucoup de collaborateurs plus affectifs que Plaute ne l’a été pour Molière, dans Amphitryon et dans l’Avare ? Le plus bel acte de la Psyché de Molière n’est-il pas l’œuvre de Corneille ? Il me semble qu’une forme d’art à qui l’on doit de telles œuvres, qui fait régner notre théâtre dans toute l’Europe, mérite autre chose que du dédain, sans oublier qu’une foule d’esprits brillants mais incomplets, qui, isolés, seraient peut-être restés stériles, se sont élevés au-dessus d’eux-mêmes par l’association et ont produit cette règle d’arithmétique assez nouvelle, à savoir, que un et un font trois.

Qu’on ne s’étonne pas de mon ardeur à défendre la collaboration, je lui ai dû trois amis : Goubaux, Scribe, Labiche, et si les pièces que j’ai faites seul : Médée, Par droit de conquête, Un jeune homme qui ne fait rien, n’ont pas moins bien réussi que les autres, c’est que je m’y suis souvenu de ce que j’avais appris dans la collaboration.

La collaboration a au moins ce privilège, d’exciter singulièrement la curiosité des gens du monde.

On m’a dit cent fois : « Mais enfin, comment cela se fait-il, une pièce à deux ? comment cela se compose-t-il ? comment cela s’écrit-il ? »