Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/460

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ils se précipitent au dehors et trouvent, à vingt pas de la porte, leur père mort. Il venait de se faire sauter la cervelle. Cette catastrophe jeta un voile funèbre sur l’imagination du jeune homme. Il me disait souvent : « Je finirai comme mon père ».

Revenus lui et moi d’Italie, nos relations continuèrent, et se changèrent en amitié. Il me présenta à sa sœur, qu’il adorait et dont il idolâtrait les enfants. La mort tragique de leur père les avait encore rapprochés. Ils s’étaient serrés l’un contre l’autre par épouvante comme par affection. Il tint aussi à me mettre en relations avec son plus cher, ou, pour mieux dire, son unique ami, M. G. Delacour. M. G. Delacour, après plusieurs années passées au service, ayant hérité d’une fortune considérable, s’était retiré avec le grade de lieutenant-colonel et avait épousé, vers quarante-cinq ans, une jeune fille pauvre et merveilleusement jolie. Je n’ai jamais vu contraste plus frappant qu’entre ce mari et cette femme. Simple, grave, un peu austère, le cœur plein d’une de ces bontés profondes qui semblent avoir peur des paroles et ne s’expriment que par des actes, M. G. Delacour me rappelait certaines figures militaires de la République. Quant à elle, c’était un Watteau. Petite, mignonne, potelée, des roses plein les joues, des éclairs plein les yeux, des dents qui semblaient rire à force d’être blanches, de petites fossettes mobiles, frémissantes aux deux coins de la bouche, et un cou ! une gorge ! des bras !… Enfin, un mélange charmant de petite fée, de petite poupée et de parisienne.

Ce qui devait arriver, arriva. Elle trompa son mari.