Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/465

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

monsieur, avait répondu froidement le mari ; cela vous ferait trop de plaisir. Vingt ans consacrés au service de mon pays me donnent le droit de choisir ma vengeance : je vous livre l’un à l’autre. »

Le châtiment ne se fit pas attendre. Leroux, voulant, à tout prix, rendre à cette jeune femme la vie de luxe à laquelle elle était habituée, se jeta dans les spéculations, et y compromit gravement sa fortune. Ils se retirèrent tout deux dans cette maison de campagne, près de Compiègne, où son père à lui s’était tué. Je restai deux mois sans recevoir une seule ligne de lui.

Inquiet de ce silence, je lui écrivis une lettre où je lui parlais d’une comédie en trois actes que je préparais pour l’hiver. Voici sa réponse textuelle : « Ah ! monsieur le mystérieux, vous achevez une pièce dont vous ne m’aviez pas parlé. Pour vous punir, j’aurais été avec un sifflet à la première représentation, mais je ne pourrai pas y assister. Je me tue demain avec mon bourreau ! Si vous me voyiez, vous ne me reconnaîtriez pas ; j’ai les cheveux tout blancs. J’ai amassé, sous un assez bon prétexte, dans un petit pavillon, situé au fond de mon jardin, une trentaine de fagots et quelques bouteilles d’huile de térébenthine. Demain, à onze heures du soir, nous y entrerons, elle et moi, résolus et d’accord. J’arroserai ces fagots avec la térébenthine, j’y mettrai le feu, puis je la tuerai d’un coup de pistolet, et je me tuerai après. Adieu ! Soyez heureux dans ce monde. Je vais voir s’il y en a un autre. »

Que s’était-il donc passé ? Quelles phases effroyables