Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/502

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les plus contradictoires ; il avait dans les mains mille preuves des douleurs des esclaves, mais il avait aussi le cœur rempli des témoignages de cordialité, d’humanité, de générosité de la plupart des planteurs. Alors sortit de sa bouche, ce cri d’irrésistible éloquence : « Il faut détruire l’esclavage, non seulement pour les esclaves, mais pour les maîtres ! Car s’il torture les uns, il détrave les autres ! Car s’il condamne les noirs à souffrir, il condamne les blancs à les faire souffrir ! Car le fouet, les coups, la privation des affections de famille, sont la conséquence fatale, inévitable de la servitude ! Car les bons sont forcés d’être méchants ; car enfin, il en est de ce fléau comme de certaines plaies incurables et hideuses du corps humain, qu’on ne peut ni soigner, ni guérir, et où le seul remède est l’ablation. »

Cette parole si terrible produisit une impression profonde. Les livres de Schœlcher portèrent la conviction dans les consciences les plus rebelles, et tout autre que lui se fût trouvé satisfait d’un tel résultat. Mais il est de la race des apôtres qui ne se satisfont jamais, et qui ne savent pas dans leur mission ce que c’est qu’un temps d’arrêt. Il repartit donc pour une nouvelle expédition ; il avait défendu les nègres, il voulut réhabiliter les noirs. La race elle-même devint sa cliente. Il résolut de rechercher les traces de sa valeur intellectuelle et morale, sur le sol même qu’elle habite, dans sa patrie, et, en 1847, il partit pour le Sénégal. Cette fois, ce n’était plus sa fortune, c’était sa vie même qu’il exposait. Frappé, sous ce climat torride, d’une de ces maladies cruelles qui brisent le corps et l’âme, il poursuivit sa route au milieu