Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/510

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au Jardin des Plantes, chez les dames Geoffroy Saint-Hilaire, qui lui donnèrent asile pour quelques heures seulement, n’étant pas sûres de leurs domestiques, et le confièrent le lendemain à un de leurs plus anciens amis, professeur au Jardin des Plantes, M. Serres. Schœlcher n’y resta qu’un ou deux jours, et ce temps, il l’employa à écrire à tous ses amis républicains, des plans de révolte, de conspiration, de descente dans la rue, en recommandant bien à son hôte de les faire parvenir à leur adresse. Ce que voyant, M. Serres, avec son calme dit : « Voilà un monsieur qui est atteint de cette espèce de monomanie qu’on appelle scribomanie », et il jeta toutes les lettres au feu. Enfin le troisième jour, deux jeunes ecclésiastiques, MM. Blanc, qui dirigeaient une pension de jeunes gens dans le faubourg Saint-Jacques, au fond d’une impasse, le reçurent, le logèrent et le cachèrent une quinzaine de jours. Ce fut pour nous quinze jours de mortelles angoisses. Le ministre du Commerce, M. Lefebvre-Duruflé, me fit dire par un ami : « Si M. Legouvé sait où est M. Schœlcher, qu’il le fasse partir au plus tôt, car s’il est pris, les passions coloniales sont tellement ameutées contre lui, que le Prince même, s’il le voulait, ne pourrait pas le sauver ; on le fusillerait. » Enfin le 22 décembre, nous apprîmes qu’il partait le soir, par le chemin de fer de Lyon, avec le plus jeune des frères Blanc, sous un costume de prêtre. Le voilà dans la gare de Lyon avec sa soutane, les yeux cachés sous des lunettes bleues, et fort enfoncé dans la lecture de son bréviaire. L’inquiétude le prend en