Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/527

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fierté de port, naturelle quoique légèrement déclamatoire, révélaient le trait caractéristique de l’artiste et de l’homme, l’enthousiasme et l’initiative. C’est lui qui demanda à Scribe le grand duo des Huguenots, c’est lui qui écrivit pour Halévy les paroles du grand air du quatrième acte de la Juive ; c’est lui enfin qui inaugura à l’Opéra le ballet poétique, en composant la Sylphide.

Ce qu’il était à l’Opéra, il l’était en dehors de l’Opéra. Deux souvenirs personnels m’en fournissent la preuve et l’exemple. Quelques mois après la Révolution de Juillet, je me trouvais un soir à l’orchestre du Théâtre-Français, assis à côté de Nourrit. Tout à coup s’élève au milieu du parterre un assez grand bruit. Quelques spectateurs, qui l’avaient reconnu, se retournent de son côté, en l’applaudissant, et j’entends des voix s’écrier :… La Marseillaise !la Marseillaise ! On sait que, à ce moment, la Marseillaise se chantait sur tous les théâtres. Nourrit entend l’appel, monte sur la banquette, entonne l’hymne patriotique et en chante tous les couplets avec autant d’énergie et de puissance de voix, que s’il eût été sur la scène !… Enthousiasmé, le public s’écrie :… La Parisienne !la Parisienne !… Nourrit remonte sur la banquette et chante la Parisienne avec la même fougue ! C’était absurde. On se casse la voix avec ces folies-là. Mais elles n’appartiennent qu’à la glorieuse race des pathétiques, des imprudents, qui s’oublient eux-mêmes quand la passion ou le devoir parle, et peut-être n’est-on l’artiste qu’a été Nourrit qu’à la condition d’être capable de ces folies-là.

J’ai parlé de Schubert à propos d’Urhan. C’est Nourrit