Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/548

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Le soir, la représentation lui valut d’assez chauds applaudissements dus, il faut bien le dire, autant à la sympathie qu’à l’admiration. Poursuivi par son idée fixe : « Avez-vous vu ? dit-il tout bas à M. Garcia, comme ils se sont moqués de moi ! » Garcia se récriant ― « Vous êtes trop artiste, lui dit-il, pour ne pas savoir que j’ai très mal chanté. Quelle honte !… »

Le spectacle fini, il rentra avec sa femme. Ils soupèrent ensemble, lui, agité et silencieux. Ils se couchèrent, elle le vit prendre un livre et lire, toujours sans prononcer un mot. Accablée de fatigue, vers les trois heures du matin, elle s’endormit. En se réveillant, elle ne le trouva plus auprès d’elle. Elle se lève, elle court… le malheureux était monté au haut de la maison, et s’était précipité du cinquième étage dans la cour.

Telle fut sa fin. Il avait trente-neuf ans. Je n’ai pas pu achever ce récit sans sentir mon cœur se serrer et les larmes me monter aux yeux. Tout le monde, je le crois, éprouvera ce que j’ai éprouvé. Qu’on ne dise pas qu’il était fou. Le fou est un être dégradé. La pitié qu’il inspire est mêlée de répulsion. On le plaint sans doute, mais on se détourne de lui. Comment appliquer ce mot affreux, à un être si rare, et resté si rare ? Comment éprouver autre chose qu’un sentiment de tendre et profonde compassion, en voyant le sort se retourner tout