Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/595

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s’exprime dans la forme la plus transitoire. Ce qui vieillit le plus dans les pièces de théâtre, ce sont les déclarations ; et si vous relisez les vieilles lettres d’amour, même celles qui vous ont été adressées…, elles vous feront mourir de rire. Plus elles sont tendres, plus elles sont comiques. Or, l’art des maîtres est de démêler dans l’idiome courant les éléments périssables, de telle sorte qu’ils ne lui empruntent que juste ce qui est nécessaire pour donner à leur dialogue l’accent et la saveur du moment : Molière écrit à la fois dans la langue de son temps et dans la langue de tous les temps. Scribe, en raison même de son instinct scénique, se sert trop du dictionnaire de la Restauration. Enfin l’impétuosité, le despotisme de son tempérament dramatique, lui faisait tout subordonner à l’action théâtre, tout, même parfois la grammaire ; non par ignorance, il connaissait très bien sa langue ; quand il péchait contre elle, c’était sciemment et avec préméditation. J’assistais un jour à une de ses répétitions : arrive une phrase un peu incorrecte, je lui en propose une autre. « Non ! non ! mon cher ami, me répond-il vivement, c’est trop long, je n’ai pas le temps ; ma phrase n’est peut-être pas très orthodoxe, mais la situation court ; il faut que la phrase fasse comme elle : c’est ce que j’appelle le style économique ! » En revanche, ce n’est pas par économie mais par nécessité, qu’il a écrit certains vers lyriques qu’on lui reproche sans cesse, et dont j’ai à cœur de laver sa mémoire. D’abord, partez de ce principe : quand vous voyez un très mauvais vers dans un opéra, soyez sûr que c’est le musicien qui l’a fait. Le despotisme