Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/603

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tous deux, cherchant, travaillant, jusqu’à ce que l’heure rappelle à Scribe qu’on l’attendait à Londres. « Déjà ! lui dit le roi. Oh ! mais, un instant, je ne vous laisse pas partir, si vous ne me promettez pas de revenir demain déjeuner avec moi… Notre opéra n’est pas fini. A demain ! ― A demain ! Sire. »

Le lendemain, mais en arrivant, qui trouva-t-il à la porte du cabinet du roi ? La reine, qui l’attendait, et qui, lui prenant les mains avec émotion : « Oh ! soyez béni, monsieur Scribe ! lui dit-elle. Pour la première fois, depuis notre exil, le roi a dîné de bon appétit. Pendant toute la soirée il a été gai, causeur, et ce matin, en entrant dans sa chambre, je l’ai trouvé assis dans son lit, se grattant le front comme son aïeul Henri IV, quand il était dans l’embarras, et disant tout bas : « Ce diable de Scribe ! il croit que c’est facile. » Et il souriait, monsieur, il souriait… Revenez !… Revenez souvent !… Revenez tous les jours, tant que vous serez ici… Me le promettez-vous ? » Il le promit, et il tint parole, et, pendant toute une semaine, il alla chaque matin verser un peu de joie dans ce cœur navré, un peu de lumière dans ce sombre séjour, et, à son retour en France, il rapporta les plus beaux droits d’auteur qu’il eût jamais touchés, la reconnaissance d’un exilé, l’affection d’un roi déchu et les bénédictions d’une sainte.