Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/622

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de Corneille. » Mon accent de conviction convainquit Scribe. Ce ne fut pas sans quelque peine. Les directeurs multipliaient leurs instances auprès de lui : un d’eux, nous disait, pour nous décider : « Ma jeune première n’est jamais morte encore sur la scène, et elle sera si contente d’être empoisonnée ! » Cet argument, si décisif qu’il fût, ne me persuada point ; mais six mois s’étant passés sans amener rien de nouveau, Scribe me déclara qu’il ne pouvait pas attendre plus longtemps. « Je ne vous demande plus que huit jours, lui répondis-je. Vous devez aller passer une semaine à Séricourt, partez. A votre retour, si je n’ai rien obtenu, je me rends. ― Eh bien, d’aujourd’hui en huit, je vous attends pour déjeuner à onze heures. ― A onze heures, d’aujourd’hui en huit. »

Il partit, et moi, voici ce que je fis.

Un nouveau directeur venait d’être nommé au Théâtre-Français ; j’allai le trouver, et je lui tins à peu près ce langage :

« Vous savez le refus de Mlle Rachel. Ce refus est-il une faute ? Je l’ignore. Mais la forme de ce refus est-elle un tort ? J’en suis sûr. On ne rend pas de cette façon, à un homme comme M. Scribe, un ouvrage qu’on lui a demandé ; on n’offense pas de cette sorte un maître qui est au premier rang, et permettez-moi d’ajouter, un jeune homme qui n’est pas au dernier. Mlle Rachel doit le sentir et en souffrir ; un talent comme le sien ne va pas sans le sentiment des convenances. Eh bien, il y a un moyen de tout concilier, ses intérêts et les nôtres. Je lui demande, non pas de jouer notre pièce, mais de l’entendre ;