Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/624

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la manière de passer d’un emploi à l’autre, et la convaincre que ce qui serait pour le public une métamorphose, ne serait pour elle qu’un changement de costume. Telle était la nuance que, selon moi, Scribe n’avait pas fait assez sentir, et que je m’étudiai pendant deux jours à rendre visible et palpable.

J’entre. Accueil charmant, plein de cette grâce câline qui lui était propre. C’est elle qui me prépare un verre d’eau sucrée, c’est elle qui va me chercher une chaise ; elle ouvre elle-même les rideaux pour que le jour soit plus favorable. Moi qui savais la fameuse phrase… « Je ne jouerai jamais cette… là ! » je riais en dedans de tout ce luxe d’amabilité, d’autant plus que je me rendais bien compte du pourquoi de ce gentil manège. Comment, en effet, accuser de mauvais vouloir et de parti pris, une auditrice si gracieusement prête à vous entendre ? C’est ce que nous appelons au théâtre, une préparation.

Je commence. Pendant tout le premier acte, Mlle Rachel applaudit, approuva, sourit, fit enfin exactement le contraire de ce qu’elle avait fait au comité. Pourquoi ? Oh ! pourquoi ? Je le devinai sans peine : son thème était fait. Elle voulait donner pour excuse que le rôle ne lui allait pas ; or, Adrienne ne paraît pas dans le premier acte, Mlle Rachel ne courait donc aucun risque en louant ce premier acte ; ses éloges mêmes devaient donner un air d’impartialité à ses réserves subséquentes, et un air de sincérité aux regrets dont elle accompagnerait son refus. Mais sa finesse était une grosse faute. En effet, dès que ses amis virent ses marques de satisfaction, ils s’y associèrent ; leurs mains s’habituèrent