Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/644

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croyant seule, lance du côté du grand salon un de ces geste de gamin qui fait la nargue aux gens et aux choses.

Par malheur, cette dernière porte avait des panneaux de glace ; ces glaces réfléchirent le geste de l’artiste dans le second salon, où se trouvait encore la jeune fille. Elle le voit et rentre éperdue auprès de sa mère, en se jetant dans ses bras, suffoquée d’indignation. C’est elle-même qui m’a raconté cette scène ; et elle était encore tout émue en me la racontant. « Vous prenez cela trop au sérieux, lui disais-je. Elle n’était pas aussi ingrate qu’elle en a l’air. Elle n’était indifférente ni à l’estime ni à l’affection de votre mère. Seulement, quand elle fut arrivée à la porte, le petit diablotin goguenard qu’elle porte dans sa cervelle, est sorti de sa boîte, et a fait la nique à ses très réels sentiments. »

Ainsi parlais-je avec une indulgence philosophique, peut-être pour me rassurer moi-même ; mais plus tard, ce petit diablotin, quand j’y pensais, me faisait grand peur, et j’avais bien raison. A son retour de Russie, Mlle Rachel me déclara nettement qu’elle ne jouerait jamais Médée. J’entrai dans une véritable rage. Je lui fis un procès. Je le gagnai. Elle en appela. Je gagnai encore. Elle fut condamnée à six mille francs de dommages-intérêts, que je partageai entre la Société des auteurs dramatiques, et celle des gens de lettres. Je publiai ma pièce, et, plusieurs éditions rapidement enlevées, permirent à mes amis de l’Académie, de la faire valoir comme un titre ; j’étais vengé, mais je n’étais consolé qu’à demi ; une pièce de théâtre a besoin