Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/658

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devait bien. Mais qu’était alors le Théâtre-Français ? Plus rien qu’un nom. Renversé par la Révolution, il s’était fragmenté en trois théâtres inférieurs : trois troupes, trois entrepreneurs, trois ruines.

Les faillites se succédaient. En apparence, rien donc de plus simple que de rapprocher ces membres longtemps unis, aujourd’hui séparés et souffrant d’être séparés. En réalité, il n’y avait rien de plus malaisé que cette réunion. Des difficultés de toutes sortes y faisaient obstacle. Difficultés matérielles : plusieurs des anciens acteurs et quelques-uns de plus éminents étaient partis pour la province et même pour l’étranger. Difficultés politiques : les passions les plus ardentes les divisaient : les uns étaient républicains, les autres royalistes, tous enragés. La charmante Mlle Contat, que les souvenirs les plus chers rattachaient à la monarchie disait : « J’aimerais mieux être guillotinée de la tête aux pieds que de paraître sur la scène avec ce jacobin de Dugazon. » Puis venait la grosse question des vanités. Plus d’un, en entrant dans un théâtre secondaire, était devenu premier rôle. Les sous-officiers étaient passés capitaines et les capitaines, colonels. Or, nous avons bien vu, de notre temps, un futur maréchal de France consentir à redescendre au rang de simple divisionnaire dans l’armée, dont il était, la veille, le général en chef. Mais l’armée des comédiens ne connaît guère ces abnégations-là. Une doublure qui est devenue chef d’emploi accepter de redevenir doublure ! Une étoile, rentrer volontairement dans le pâle groupe des nébuleuses, jamais ! Enfin, l’intérêt aussi faisait difficulté ;