Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/667

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huitième siècle. Pas un amateur qu’il ne connût, pas un riche portefeuille qu’il ne visitât, pas un catalogue qu’il n’étudiât et n’annotât, pas une vente où il n’assistât. On le rencontrait dans tous les coins de Paris, toujours pressé, pâle, long, mince, tout semblable avec sa barbe blanche, ses yeux bleus, à la fois interrogateurs et myopes, son paletot à moitié boutonné, à un des personnages de sa collection, à un ancien portrait d’artiste, à un caractère. C’en était un ! Sait-on quel était le but inconnu vers lequel il courait toujours, l’idée qu’il poursuivait et qui le poursuivait sans cesse ? L’idée de sa vente future.

Le jour de la vente est, pour le collectionneur, le jour du jugement dernier. C’est elle qui le classe parmi les connaisseurs ou parmi les dupes. C’est elle qui justifie ou condamne les sacrifices faits par lui à sa passion. Le collectionneur ne rogne pas seulement sur ses dépenses personnelles ; j’en ai connu (non pas Mahérault), qui, pour nourrir leur collection, ont fait un peu jeûner leur famille. Ils se disent à eux-mêmes, pour excuse, que, le jour de la vente, la collection, en sœur fidèle, rapportera à la succession dix fois plus qu’elle n’avait reçu.

Mahérault disait souvent à sa fille : j’espère que je te laisserai une belle vente.

Elle eut lieu un an après sa mort. Je m’imagine que ce grand jour venu, l’ombre de Mahérault, qui doit être bien diaphane, si notre ombre ressemble à notre corps, a trouvé moyen de se glisser dans cette salle des commissaires-priseurs,