Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/679

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sur ce ton pendant quelques secondes. Qui était-ce ? Le vieux Tissot, cet académicien mendiant, qui fut certes le plus indépendant de tous les membres de l’Institut, car il vendait sa voix à un candidat, et il la donnait à un autre, pour se la faire payer deux fois. Son algarade d’admiration me mit au supplice ! Mais sa vieillesse, son titre de professeur au Collège de France, me défendaient de m’en aller en lui tournant le dos ; et je dus subir son discours, en me contentant de dire à mi-voix aux plus proches auditeurs… « C’est odieux !… » Débarrassé enfin de lui, je me sauve dans mon cabinet de professeur. Il y accourt, et me dit avec une naïveté touchante… « Mon cher ami, je viens de vous rendre un fier service. Prêtez-moi donc cinq cents francs ! » Je lui en donnai vingt, et il partit en me bénissant. Seulement, comme il ne trouvait probablement pas son éloquence assez bien payée, il s’en alla, du même pas, chez une de nos meilleures amies, et voici son entrée en matière. « Vous aimez beaucoup M. Legouvé ? ― Oh ! beaucoup. ― Eh bien, je viens de lui rendre un immense service. ― Lequel ? » Il lui raconte tout, et ajoute : « J’ai pensé que vous seriez heureuse de reconnaître ce que j’ai fait pour lui, et je viens, tout ingénuement, vous prier de me prêter cinq cent francs. ― Mais il me semble, lui répondit la dame, que ce serai plutôt à lui que vous devriez vous adresser. ― J’y ai bien pensé. Mais dans la position où il se trouve… ― Quelle position ? ― Il est dans le plus grand embarras. ― Lui ! ― Poursuivi par ses créanciers. ― Lui ! ― Prêt à être expulsé par son