Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/683

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la sienne, était plus habituellement souriante ; d’une noblesse de manières qui était de la noblesse de cœur, on sentait en elle un de ces êtres qui sont nés pour toujours servir de soutien sans avoir jamais besoin d’être soutenus, non par insensibilité ou stoïcisme, mais par une certaine force naturelle et facile comme la santé même.

Chargée seule, par l’absence de son mari, de ses trois enfants, elle les éleva à la Cornélie, c’est-à-dire virilement et tendrement. Les circonstances l’y aidèrent. On sait que les pays de frontières ont souvent un caractère de patriotisme un peu farouche. Toujours les premiers en armes, s’il y a guerre ; les premiers menacés, s’il y a défaite ; posés en sentinelles devant l’étranger en temps de paix, ils demeurent hostiles alors même qu’ils ne sont pas ennemis. Tel était Thionville ; telle était, surtout, en 1813, dans les sombres et dernières années de l’Empire, cette patriotique Lorraine, si voisine des grands événements de la guerre et si ardente à la défense du sol. Les trois enfants y respiraient de tous côtés la haine de l’étranger et l’amour passionné de la France. Placés tous trois au petit collège de Thionville, ils avaient pour maître d’étude un vieux soldat de la République, qui leur expliquait le De viris illustribus pendant les classes et leur racontait les guerres de 92 pendant les récréations. Double leçon de patriotisme ; car il le leur montrait à la fois dans le monde antique et dans le monde moderne, dans les grands hommes et dans le peuple, sous les traits des héros immortels et sous la figure plus touchante encore du pauvre soldat