Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/689

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croyait avoir entrevu au-dessus de leur tête. Après une escalade des plus périlleuses, ruisselant de sueur, les mains ensanglantées, il arrive enfin au pli de terrain qui lui figurait une route. Mais quelle est sa surprise ! pas de route ! Continuer de monter ? Impossible !… Le roc s’élevait devant lui droit comme une muraille ; redescendre ? Impossible encore, ses forces étaient à bout ; reprendre haleine en restant sur l’étroite saillie de rocher où posaient ses pieds ? Toujours impossible ! Ses jambes fléchissaient sous lui ; au bout de quelques secondes il serait tombé dans l’abîme. Son ami, devinant tout d’en bas, suffoquait de terreur. Tout à coup il voit Reynaud tourner sur lui-même dans cet étroit espace, appliquer son dos là où était sa poitrine, et, se laissant hardiment glisser, tomber assis sur la saillie du roc. Puis, une fois là les jambes pendantes sur l’abîme, il se met à chanter une tyrolienne. Quelques minutes après, il redescend près de son ami, qui lui fait les plus vifs reproches. ― « Que veux-tu ! lui répond-il simplement, tu étais si fatigué. »

Une autre fois, poète, héroïquement poète, il bravait la mort, pourquoi ? Pour aller, il le dit lui-même, presser sur ses lèvres, au haut d’une cime inaccessible, un petit arbrisseau battu de l’orage. Rien ne peint mieux son tour singulier d’imagination, que la note de voyage où il raconte cet étrange désir.

« Hier, dit-il, descendant de l’Isenthal, je me suis arrêté pour contempler ce grand rocher qui porte une croix au sommet, et