Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/691

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dans les circonstances les plus vulgaires de la vie, je ne sais quoi d’héroïque et comme de vibrant. J’ai entendu le vieux Lakanal parler à quatre-vingt-quatre ans sur la tombe de Geoffroy Saint-Hilaire ; je l’entends toujours. Dans son discours écrit (j’étais derrière lui pendant qu’il le prononçait), revenaient naturellement les souvenirs des guerres de la République ; eh bien, partout où se trouvait sur le manuscrit le mot Prussiens, l’impétueux vieillard avait ajouté en marge à l’encre rouge quelques nouveaux termes de colère, quelques mots d’indignation et de défi. Dieu sait pourtant s’il en manquait sur le manuscrit même ! Mais, en le relisant, il avait trouvé ses expressions trop faibles, et il les avait un peu rechargées de poudre. Tels ils étaient tous. Nous ne pouvons nous représenter ce que valait alors ce mot : la France ! Ils l’aimaient comme on aime ce qu’on a défendu, ce qu’on a reconquis. Tel était surtout Merlin, l’immortel défenseur de Mayence. Sa voix était un cri de clairon. Reynaud sentit auprès de lui s’exalter encore son patriotisme. Aussi ses voyages comme ingénieur dans les pays, nous le montrent-ils toujours préoccupé de cette idée, qu’il représentait la France et qu’il devait la représenter vaillamment.

Un jour, on organise dans la Valteline une chasse au chamois, pleine de périls. Il y va ; il étonne, il surpasse les chasseurs les plus aguerris, non par bravade ou par vanité, mais pour que le soir au retour on dise : « C’est le Français qui a été le roi de la chasse ! » Dans le Hartz, il arrive un matin à une mine aussi profonde que dangereuse