Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/704

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trouve très découragé. « Je n’aboutis pas, me dit-il, je retombe toujours dans mes deux statues de la Jeunesse et de la Pensée. Tenez, regardez… » Après un examen attentif : « Il y a, ce me semble, lui dis-je, un moyen d’arriver au but. ― Lequel ? ― Changez votre figure de sexe. Au lieu d’une femme, faites-en un homme. Au lieu de l’Immortalité, faites le Génie de l’Immortalité. Cette seule modification renouvelle tout, la forme, l’allure, l’expression ; vous voilà forcément arraché au souvenir de vos deux autres œuvres, et, du même coup, vous entrez pleinement dans le caractère de Reynaud. Reynaud était avant tout un homme ! Une image virile peut seule être son image, et ainsi comprise, cette figure deviendra en même temps la représentation fidèle de son génie. ― En quoi consistait son génie ? ― La lecture de Terre et Ciel vous l’expliquerait ; mais vous avez autre chose à faire qu’à lire un volume de philosophie et de science de quatre cents pages. Voulez-vous que je vous le résume en quelques mots ? ― Parlez ! je vous en prie ! ― J’appelais Reynaud un citoyen de l’infini ! Il vivait en plein univers. La terre n’était pas pour lui le séjour où s’accomplit notre destinée. C’était une des étapes de notre existence éternelle ! Autant d’astres dans le ciel, autant de terres. Autant d’habitations successives des créatures humaines. Cette idée n’était pas seulement chez lui une idée de théologien ou de philosophe ; c’était une idée de savant. Astronome, géologue, physicien, chimiste, et supérieur dans toutes ces sciences, il s’en servit, non comme les savants ordinaires, pour en tirer des livres scientifiques, mais pour en faire des