Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/706

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campais sur la place de la Concorde avec les gardes nationaux de notre village ; c’était le lundi, le troisième jour. La bataille venait de finir ; vers les quatre heures, passe sur la place, à quelques pas de nous, un homme en blouse, un ouvrier seul, sans armes, marchant paisiblement

A la vue de cette blouse, nos paysans s’écrient : « Un insurgé ! un insurgé ! » et se précipitent sur lui, la baïonnette au poing. Nous voulons les retenir. Vains efforts ! Le malheureux, épouvanté, s’enfuit. Des cuirassiers qui stationnaient dans les Champs-Elysées, le voyant fuir, le croient coupable, et deux d’entre eux se lancent sur lui au galop ; on l’atteint, on l’entoure ; baïonnettes et sabres sont levés sur sa tête, son sang coule déjà, il va être massacré ! Tout à coup un homme, au risque d’être tué, se précipite au milieu de ce tumulte et de ces armes ; il ne dit pas un mot, il ne fait pas une prière, mais par un mouvement plus rapide que la pensée, il arrache de sa poitrine son écharpe de représentant et la jette sur l’ouvrier ! A la vue de ce signe, les armes tombent, les menaces cessent ; cette écharpe devient pour ce malheureux comme un des lieux d’asile de l’antiquité ou du moyen âge. C’est qu’en effet, c’était un lieu d’asile et le plus grand de tous ; car c’était l’image de la Nation elle-même ; c’était derrière le peuple tout entier, que cette main inconnue et généreuse avait abrité et sauvé cet homme du peuple. Cet inconnu, ce sauveur, c’était Jean Reynaud.

Je ne pourrais trouver une meilleure transition pour arriver à la dernière partie de cette étude, à la peinture de Reynaud comme homme de cœur.