Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/711

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sa famille ; on redoutait à la fois pour lui et l’excès et l’impuissance du travail. On n’apprend pas une science nouvelle à soixante ans ; il était donc à craindre que cette œuvre de sa vieillesse ne fût œuvre de vieillard, et ne répondit ni à ses espérances ni à ses premières créations. Mais comment lui communiquer ces soupçons ? Comment lui ravir cette dernière joie, et compromettre peut-être, en la lui ravissant, cette santé même que l’on voulait défendre ? Après de longues irrésolutions, la famille consulta Reynaud et lui demanda son intervention. Sa compétence dans les sciences physiques donnait pleine autorité à son jugement ; l’affection paternelle du vieillard pour lui, donnait toute valeur à ses conseils. Il hésita pourtant. A son âge (il n’avait pas trente ans), il lui semblait voir une sort d’impiété dans cette hardiesse. L’intérêt de son maître le décida.

Un matin donc, il entra dans le cabinet de M. Geoffroy. Quelques questions adroitement jetées amenèrent facilement la confidence du travail commencé. Reynaud écouta sans interrompre ; puis, reprenant un à un tous les points de la question, il commença, avec ménagement d’abord, à faire sentir à l’auteur les côtés faibles de son système, lui montra l’insuffisance de ses études commencées trop tard, l’inanité de ses découvertes qui ne paraîtraient que des souvenirs, et, augmentant d’énergie à mesure qu’il voyait la surprise, le doute, la conviction se succéder sur le visage de son maître, il ne s’arrêta que quand il eut renversé pièce à pièce tout l’édifice aux yeux du vieillard désespéré. Reynaud, dans