Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/715

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

leurs repas avec nous, puis s’en allaient gravir majestueusement le sommet d’un grand hangar voisin, et regarder de là coucher le soleil. « Ne semble-t-il pas, me disait-il, qu’ils vont saluer le dieu de leur patrie, et qu’ils prennent plaisir à faire étinceler leur splendide plumage dans le rayonnement de ses derniers feux ? »

Cependant je ne revenais jamais de Vineuil sans avoir le cœur serré. Cette vie de dévouement à la science, me remplissait de respect, d’admiration, mais aussi de regrets. Je ne connaissais trop toute la tendresse de cette âme, pour ne pas deviner la souffrance dont il ne se plaignait pas, pour ne pas souffrir du sacrifice qu’il acceptait héroïquement. Il avait trente-cinq ans à peine, et je ne pouvais me redire sans tristesse cette phrase de lui : « Je me sens ici sous la main de Dieu, que depuis si longtemps je vois seul au-dessus de ma tête, par delà les étoiles, dans mes promenades de nuit. »

Une pensée singulière vint bientôt se mêler à mes préoccupations. Au fond d’une province, au fond d’une campagne, à cinquante lieues de Paris, dans une solitude aussi douloureuse et presque pareille à celle de Vineuil, vivait une de nos amies les plus chères, une jeune femme qui, par un hasard étrange, n’avait trouvé refuge qu’au sein des plus sévères études. Nos grands penseurs lus et relus, l’avaient nourrie des mêmes idées qui occupaient Reynaud, et, l’on peut dire qu’à cinquante lieues de distance, inconnus l’un à l’autre, leurs âmes vivaient dans les mêmes régions. Souvent nous les réunissions