Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/719

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bâtir, à une extrémité de Paris, une maison sur des terrains isolés d’où l’on embrassait un bel horizon. Son instinct de paysagiste l’avait bien guidé ; il fut exproprié pour cause d’embellissements publics, et, devenu spéculateur malgré lui, se trouva riche parce qu’il aimait le beau.

Il en profita pour aller planter sa tente d’hiver sur les côtes de Provence. C’est là qu’il mit la dernière main à son livre de Terre et Ciel ; c’est là qu’il prépara son second travail sur l’Esprit de la Gaule ; c’est là qu’il fut heureux. Ceux qui l’avaient connu dans sa fougueuse jeunesse, s’étonnaient de le voir dans son jardin de Cannes, serein et tranquille comme un homme de campagne, plantant, bêchant, portant, dans son nouveau métier de jardinier, cette ardeur inventive et cette imagination poétique qu’il mettait à toute chose. Il rayonnait de joie à l’arrivée d’un beau végétal ; il nous rappelait à tous, cette noble vie de Schiller, qui, lui aussi, commença par être le Schiller des Brigands, c’est-à-dire l’homme des orages, pour finir par être poète de Guillaume Tell, c’est-à-dire le poète de la lumière. C’est que Reynaud avait rencontré, nel mezzo cammin della vita, au milieu du chemin de la vie, comme dit Dante, le guide qui devait l’aider dans le dernier perfectionnement de son âme. On a souvent remarqué que, dans les unions vraiment dignes de ce nom, l’échange habituel des paroles, des pensées, des sentiments, amène peu à peu comme un échange de qualités. Reynaud en fit la favorable expérience. Ce qu’il y avait en lui d’un peu indompté s’apaisa au contact de