Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/733

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

joli profil, physionomie plus aimable, cheveux noirs plus ondulés, ne se sont trouvés sur la tête d’un duc et pair. Il avait le petit zésaiement de l’ancien régime ; comme le duc de Richelieu, il avait supprimé une des lettres de l’alphabet, l’r, il disait ma paole d’honneur. Il employait volontiers ces petites vulgarités de langage qui font partie de la distinction aristocratique ; il ne disait jamais cette femme, mais c’te femme, le tout sans affectation, sans prétention, de naissance. Personne ne rimait plus agréablement que lui un conte, une épître, un madrigal. Il jouait la comédie à merveille ; il avait même pris quelques leçons de Fleury, sans cesser de maintenir la distance entre le maître et l’élève. Il m’a souvent conté, avec un sourire de satisfaction, comment Fleury s’étant hasardé un jour à lui tendre la main, il avait échappé à cette familiarité, à force de politesse et de courtoisie. Il n’y avait eu là de sa part nulle morgue nobiliaire, mais simple dignité d’homme du monde ; pour lui un acteur n’était pas de la société. Son entrée à l’Académie ne fut pas, comme on pourrait le croire, le résultat d’une intrigue de salon ou d’une faveur. Dans ce temps-là, un succès de tragédie en cinq actes suffisait pour vous ouvrir les portes de l’Institut. Ainsi en advint-il à M. Brifaut. Son Ninus II, joué par Talma, fit sensation dans le monde, et même dans le monde lettré. Depuis, on s’est un peu moqué de ce Ninus II, qui s’était d’abord appelé Philippe II, et que le poète, sur une objection de la censure, transporta d’Espagne en Assyrie, sans qu’il lui en coûtât autre chose que quelques changements de rimes,