Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/737

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bras dessus, bras dessous, attendant une voiture. Ce que voyant, je me retourne vers lui, et je lui dis : « Quand je pense, monsieur, que vous êtes là, côte à côte avec un homme qui a juré de vous tuer. ― Quoi ? Vous êtes… ― M. Legouvé. » C’est ainsi que se fit notre connaissance, qui devint de la gratitude de ma part, lors de mon élection, et qui est devenue depuis, de l’amitié.

Deux traits particuliers caractérisaient l’esprit de M. Brifaut, une grâce qui ne manquait pas d’un peu de manière, et une vivacité de ripostes qui ne manquait pas d’aiguillon. Un jour, à l’Académie, où M. Cousin parlait de Molière, M. Brifaut, s’était permis de n’être pas de son avis, le Philosophe se leva de sa place, et, arrivant tout près de son confrère, lui dit avec une brusquerie qui frisait l’impertinence : « Est-ce que vous auriez la prétention de connaître Molière aussi bien que moi ? ― Monsieur Cousin, répondit M. Brifaut froidement, je n’ai qu’une prétention, celle d’être poli. » Ce qui achevait de le peindre, c’étaient ses petits billets du matin. Il en écrivait tous les jours trois ou quatre, et ne mettait pas moins de deux ou trois heures à les composer. C’était son dernier travail littéraire. Autant de lettres, autant de petits chefs-d’œuvre de grâce et de calligraphie. Il y avait là comme un écho de certaines lettres de Voltaire. Même mélange de compliments mondains, de jugements littéraires et de doléances de malade. Le pauvre homme avait plus droit de se plaindre que son illustre modèle, car dans les dernières années de sa vie il était devenu si frêle, si transparent, qu’à une séance publique de réception à