Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/74

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ramasse le bracelet, le rattache avec une courtoisie de prince au bras d’Alicia… ; puis il reprend sa colère et achève la scène avec l’impétuosité féroce d’un bourreau.

L’effet fit immense ; on demanda à Talma de recommencer ce jeu de scène le lendemain ; il s’y refusa. « Il y a dans notre art, dit-il, des hasards d’inspiration, qui deviendraient de vulgaires procédés si l’on en faisait des habitudes. »

La pièce n’obtint pourtant qu’un demi-succès, et disparut assez promptement de l’affiche ; mais Lemercier en fit bientôt jouer une autre, Christophe Colomb, qui donna lieu à un petit fait assez curieux.

A une répétition, un des acteurs s’approche de M. Lemercier, et lui dit timidement : « Monsieur, il y a dans mon rôle un vers qui m’inquiète. ― Lequel ? ― C’est celui-ci : Et quant à ces coquins ? Il faut les envoyer au pays des requins.

— Eh bien ! lui répond M. Lemercier, que craignez-vous ?

— De faire rire ; et je vous proposerai un petit changement.

— Dites.

— Je mettrais :

 
Et quant à ces brigands,
Il faut les envoyer au pays des merlans.


M. Lemercier sourit, et ne changea pas son vers. D’où lui venait donc cette ferme et calme confiance en lui-même ? Etait-