Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/751

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Un fait m’a toujours frappé, c’est le merveilleux instinct du public pour reconnaître le génie à son premier cri. A peine a-t-il paru, à peine a-t-il parlé, que du cœur de tous, part une acclamation d’enthousiasme qui le salue roi. Il semble que tout ce qu’il fera, soit écrit par avance dans ce qu’il vient de faire ; ce début contient une longue vie de gloire. On dirait, qu’on me pardonne une comparaison quand je parle d’un poète, on dirait la splendeur d’une belle journée de soleil, ramassée tout entière dans le premier rayon de l’aurore.

Ainsi en advint-il à Lamartine ; les Méditations, n’étaient pas publiées depuis vingt-quatre heures, que, par je ne sais quel phénomène d’électricité morale, ce nom, inconnu la veille, courait déjà sur toutes les lèvres ; il avait à peine encore quelques lecteurs que déjà il avait un peuple d’admirateurs et surtout d’admiratrices, car les femmes et les jeunes gens sont toujours les premiers précurseurs du génie, et M. de Talleyrand lui-même, averti par ce bruit de gloire, prit le volume, le dévora tout entier en quelques heures enlevées au sommeil,