Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/770

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qu’il y avait de mystérieux, de bref, de lapidaire dans ce style ajoutait beaucoup à la crainte. On se moquait bien tout bas de ces éternels deux cent mille hommes qui revenaient toujours sur les affiches, et qu’on ne voyait jamais dans la rue ; mais on n’en tremblait pas moins, car on savait que la maison de la rue de Rivoli était le siège de l’état-major de la Révolution, et que de là partaient sans cesse des mots d’ordre et des ordres auxquels obéissait la population ouvrière.

Le 16 avril, Paris était en grande rumeur, on parlait d’un redoutable mouvement populaire. Passant le matin devant le ministère de Sobrier, j’y entre pour avoir des nouvelles. La cour, les escaliers, tout y retentissait du bruit des fusils. Partout des factionnaires. Je veux monter. « On ne passe pas. ― Je passe toujours. ― Que demandez-vous, citoyen ? ― M. Sobrier. ― Le citoyen Sobrier est occupé. ― C’est possible, mais il me recevra. ― Votre nom, citoyen ? ― Monsieur Legouvé. » J’avoue que je m’amusais volontiers à multiplier les « monsieur » dans ce temple du civisme. Le factionnaire voit descendre un personnage important, il l’appelle : « Citoyen, voilà le citoyen Legouvé qui veut parler au citoyen Sobrier. ― Qu’il entre. ― Merci, monsieur. » Et me voilà entré. Je trouve Sobrier dans une grande salle, penché sur une grande table, avec une large écharpe rouge autour du corps, deux pistolets accrochés dans l’écharpe, et écrivant très vivement de petits bulletins qu’il distribuait à des estafettes debout autour de lui. ― « Vous arrivez à propos, me dit-il, je vous enrégimente. ― Oh ! un instant, lui répondis-je