Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/772

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Ainsi arriva-t-il : l’Hôtel de Ville fut garanti, le gouvernement provisoire fut maintenu, la ville fut sauvée, cette journée qui s’annonçait comme une journée de massacre se termina par une journée de triomphe, et quand plus tard on reprocha à Lamartine d’avoir conspiré avec Sobrier : « Oui, répondit-il en souriant, comme le paratonnerre conspire avec la foudre. »

Le 3 mai compléta l’œuvre du 16 avril. Sous l’impression de ce grand service rendu par Lamartine, l’Assemblée voulut personnifier en lui seul le gouvernement provisoire, il refusa. On voulut, du moins, en exclure M. Ledru-Rollin. Il refusa plus énergiquement encore ; c’est l’acte qu’on lui a le plus reproché, c’est l’acte qui l’honore le plus. Il n’aimait pas M. Ledru-Rollin ; ses opinions de jacobin lui étaient antipathiques ; son très réel talent d’orateur lui-même ne le touchait pas. Mais il comprit que si M. Ledru-Rollin n’était pas membre du gouvernement, il en serait peut-être l’adversaire, et que M. Ledru-Rollin de plus dans l’armée de l’émeute, c’était peut-être la victoire de l’émeute. Nul, en effet, ne peut dire ce qu’auraient été le mouvement révolutionnaire du 15 mai et les terribles journées de juin, si le premier jour, Ledru-Rollin n’avait pas marché avec Lamartine, et si, le second, il avait marché avec la révolte. Cette profonde sagesse de Lamartine ne fut pas comprise ; on cria à la trahison. Les défenseurs du parti de l’ordre moral de ce temps-là, l’accusèrent d’avoir pactisé avec les révolutionnaires par ambition et par faiblesse ; on voit que les partis ne sont pas comme les jours : ils se suivent, mais ils se