Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/779

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beauté et de son air d’insouciance, ne put s’empêcher de s’écrier : « Mon Dieu ! pardonnez-lui, il ne sait pas ce qu’il fait ! » Telle était, en effet, la facilité de Lamartine, qu’elle ressemblait à de l’inconscience. N’a-t-il pas dit lui-même, un jour, à un de ses amis fort absorbé par un travail : « Que faites-vous donc là, mon cher, avec votre front dans vos deux mains ? ― Je pense. ― C’est singulier ! Moi, je ne pense jamais, mes idées pensent pour moi ! »

En vérité, devant un tel mot, on en arrive à croire que Lamartine avait, comme Socrate, un démon familier qui vivait en lui, agissait pour lui, parlait pour lui ! En tout cas il faut convenir que ce démon-là était un bon génie, car il ne lui a jamais inspiré que la pitié et la bonté. La bonté ! tel fut le dernier trait distinctif de cette admirable nature, le sceau suprême et comme le couronnement de toutes ses qualités. Lamartine fut bon avec grandeur, comme il fut tout. Il embrassait dans sa sympathie, non seulement l’humanité entière, mais tous les êtres de la création. Semblable à ces saints du moyen âge qu’une affinité mystique unissait, dit-on, aux créatures inférieures, et que les légendes nous représentent entourés d’animaux attachés à leurs pas, et d’oiseaux volants au-dessus de leurs têtes, Lamartine avait avec les bêtes des liens mystérieux. Il a trouvé pour les peindre, des paroles et des images plus pénétrantes que les vers même de Virgile et d’Homère. Tel était le rayonnement de sympathie qui s’échappait de ses regards, de sa voix, de sa démarche, qu’il semblait retenir autour de lui, par je ne sais quelle attraction magnétique,