Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/782

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de quatre mille francs qu’il ne pouvait pas payer. Il avait oublié qu’il devait, en voyant qu’un autre souffrait. Les sages diront : C’est une folie ! Eh ! sans doute, c’est une folie ; mais une folie qu’on peut divulguer sans crainte, elle n’est pas contagieuse… Et si je termine cette étude en citant cet emportement de charité, c’est que j’y retrouve ce qui distingue les œuvres comme la vie de Lamartine, je ne sais quoi de surhumain qui est supérieur à la raison même. La raison est une admirable vertu, elle fait faire les meilleures choses de ce monde, mais elle ne fait pas faire les plus grandes. Elle ne produit ni les héros, ni les saints, ni les martyrs, ni les poètes ! Elle n’aurait pas plus suffi à composer le manifeste à l’Europe ou à dominer le peuple à l’Hôtel de Ville, qu’à écrire les Méditations ! Et si Lamartine a enchanté la terre, c’est qu’il a toujours pris son point d’appui plus haut que la terre… C’est qu’il a été un grand poète en action ! Puisque vous voulez lui consacrer un monument, souvenez-vous des Anciens. Ils peuplaient leurs forums, d’autels à la jeunesse, à la beauté, à la vaillance. Eh bien ! vous, édifiez une colonne à la poésie, et mettez-y la statue de Lamartine ! Voici sa place ! Tout au faîte ! En plein ciel ! Planant sur cette ville dont il a été la gloire et le salut, et élevant, comme le Dieu du jour, une lyre d’or entre ses deux mains.