Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/789

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C’est elle qui à Saint-Pétersbourg, avait découvert le Caprice, exhumé le Caprice, représenté le Caprice, et qui imposa le Caprice à la Comédie-Française pour ses débuts. On se rappelle l’effet prodigieux de ces quelques scènes. Ce fut une double révélation. Révélation d’actrice, révélation d’auteur. Mme Allan avait alors près de trente-six ans ; elle avait engraissé, ses traits étaient devenus un peu lourds, sa taille un peu épaisse, sa voix avait perdu de son charme, ses yeux, un peu trop à fleur de tête, avaient perdu de leur éclat. N’importe ! Son talent triompha de tout ! suppléa à tout ! Elle emporta le succès par des qualités inconnues à Mlle Mars elle-même et à l’école de Mlle Mars ; je veux dire un côté de fantaisie, un imprévu de gaîté, une audace de vérité dans l’intonation et le geste, qui ont préparé l’École moderne [1].

Pour A. de Musset, ce fut bien autre chose. A ce moment, en 1847, il comptait seulement parmi les poètes charmants, il n’avait pour admirateurs que les dillettanti et les lettrés. Le Caprice, en le produisant sur la scène, le popularisa. Au Caprice succéda la Porte ouverte ou fermée, puis Il

  1. J’ai eu Mme Allan pour interprète dans Bataille de dames, et dans Par droit de conquête. Elle jouait dans la première pièce la comtesse ; dans la seconde, la fermière, et elle est restée sans égale dans toutes deux, comme dans Péril en la demeure, comme dans La joie fait peur, comme dans Lady Tartuffe, où, avec un rôle de cinquante lignes, elle sut se maintenir au premier rang, à côté de Mlle Rachel. Si l’esprit le plus distingué que j’aie connu parmi les artistes dramatiques, notre cher et toujours regretté Régnier, était encore là, il signerait des deux mains ce que je dis de Mme Allan.