Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/792

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préféré, et de le faire battre par son interlocuteur,… j’étais parti pour Madrid et je vais à Constantinople. » Cette phrase me frappa singulièrement. J’y démêlais une des causes du charme particulier du génie d’A. de Musset, et j’en cherchais depuis longtemps la trace dans ses divers ouvrages, quand il y a trois ans, une lettre tombée inopinément entre mes mains, mit pour moi en pleine lumière, ce que je n’entrevoyais que dans une demi-ombre.

Voici cette lettre. Elle part d’une des nombreuses femmes, et non des moins distinguées qui ont adoré A. de Musset, car il est de la race des artistes qui entraînent derrière eux un peuple de femmes.


« Octobre 184…

Je suis aimée et même adorée, plus encore maintenant qu’au commencement : mais il y a des points par lesquels nous nous touchons si rudement, qu’il y a douleur pour tous deux, et douleur si insupportable que, dans ces moments-là, ni l’un ni l’autre ne peuvent plier. S’il se montrait toujours du côté que j’aime, il n’y aurait rien de si doux ni de si beau. Mais malheureusement il y a l’autre lui auquel je sens que je ne m’habituerai jamais. Déjà deux fois, j’ai brisé ou voulu briser ce lien qui par instants n’est plus possible. Ce sont des désespoirs auxquels je ne sais pas résister, des attaques de nerfs qui amènent des transports au cerveau, des hallucinations et des délires.