Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/12

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lités dominantes du génie de Leibniz, la puissance de réflexion et la facilité d’assimilation. Notre méthode n’est souvent que l’histoire de notre esprit. Leibniz resta éclectique toute sa vie, mais avec deux graves réserves : il a trouvé que « la plupart des sectes ont raison dans une bonne partie de ce qu’elles avancent, mais non pas tant en ce qu’elles nient[1] ; » et s’il se plaît à « prendre le meilleur de tous côtés » c’est pour « aller après plus loin qu’on n’est allé encore[2]. » Sa préoccupation constante en lisant un livre ou en étudiant une science était la recherche de l’originalité et de la nouveauté prises l’une et l’autre dans la meilleure acception des mots. Pascal a dit avec une grande justesse « qu’à mesure qu’on a plus d’esprit on trouve qu’il y a plus d’hommes originaux[3]. » Leibniz avait assez d’esprit pour trouver de l’originalité et de la profondeur dans le plus infime des scolastiques. Quant aux sciences, il s’y intéressait moins encore pour les vérités qu’elles lui présentaient que par les découvertes qu’elles lui suggéraient. Partout et toujours il lisait entre les lignes et dans son propre esprit. « Deux choses me furent, dit-il, merveilleusement utiles, et deux choses qui, pour le plus grand nombre, ne sont pas sans dangers : c’est que j’étais en quelque sorte αὐτοδιδαχτός, et que dans toutes les sciences je cherchais à découvrir quelque chose avant même d’en bien connaître les premiers éléments (alterum quod quærerem nova in unaquaque scientia ut primum eam attingebam cum sæpe ne vulgaria quidem satis percepissem). J’y trouvai deux avantages : le premier, de ne pas remplir mon esprit de vaines opinions qu’il eût fallu plus tard désapprendre, parce qu’elles se recommandaient plutôt par l’autorité des maîtres que par la force des preuves ; le second, de n’avoir pas de repos que je n’eusse pénétré jusqu’aux fibres et aux racines de chaque science (alterum ut ne ante quiescerem quam ubi cujusque doctrinæ fibras ac radices essem rimatus) et que je ne fusse parvenu jusqu’aux principes qui me donneraient les moyens de résoudre par moi-même (proprio Marte) toutes les questions[4]. » Cette peinture naïve des dispositions originelles d’un des esprits les plus philosophiques qui furent jamais, est du plus haut intérêt pour le psychologue. Ajoutons un trait

  1. Ibid., 702.
  2. Erdmann, Nouveaux Essais, 205.
  3. Pascal, Pensées, t. Ier, 95 (éd. E. Havet).
  4. Erdmann, 162, b, Historia et Commentatio linguæ charactericæ universalis.