Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/21

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jalousie dans Leibniz, dit Fontenelle. Il excite tout le monde à travailler ; il se fait des concurrents s’il peut ; il ne donne point de ces louanges bassement circonspectes qui craignent d’en trop dire ; il se plaît au mérite d’autrui : tout cela n’est pas d’un plagiaire. Il n’a jamais été soupçonné de l’être en aucune occasion : il se serait donc démenti cette seule fois et aurait imité le héros de Machiavel, qui est exactement vertueux jusqu’à ce qu’il s’agisse d’une couronne. » Pourtant Leibniz a un faible : il lui répugne de passer pour disciple et son génie se révolte contre l’idée qu’on pourrait lui faire jouer ce rôle vis-à-vis de Descartes[1]. Il se défend, il est vrai, de vouloir établir sa réputation sur les ruines de celle de Descartes, il en fait souvent un éloge qu’on a tout lieu de croire sincère, mais il ne manque guère d’ajouter que sa philosophie n’est que l’antichambre de la vérité et qu’il n’est rien moins que cartésien « fateor me nihil minus quam cartesianum esse. » Il distingue avec soin les disciples du maître, mais il fait rejaillir sur celui-ci le reproche qu’il adresse aux autres de s’arrêter et de s’immobiliser dans une stérile admiration, sans faire aucune découverte nouvelle. Le mot de Fontenelle est ingénieux et le calcul infinitésimal est une belle couronne ou du moins le plus beau fleuron d’une couronne, mais quand il s’agit de la réforme de l’idée de substance, pivot de la philosophie de Leibniz, notre philosophe se montre aussi peu empressé à proclamer ce qu’il doit à F. Glisson dont il avait très probablement lu l’ouvrage : Tractatus de natura substantiæ energetica, seu de vita naturæ, publié l’année même de son séjour à Londres[2]. On peut trouver que Leibniz prodigue trop ses louanges à des auteurs de second ordre que lui seul connaît, et qu’il cite, à ce qu’il semble, pour faire parade d’érudition, ou si l’expression choque, pour faire les honneurs de sa vaste érudition, tandis qu’il remarque avec un soin trop minutieux les endroits où Descartes a manqué. Il va jusqu’à dire que « Descartes avait l’esprit assez borné. » Il déclare qu’il y a plus de vérité dans Aristote que dans Descartes ; on se demande si Aristote ne bénéficie pas de son antiquité et de la décadence du péripatétisme de l’École, bien qu’effectivement Leibniz doive beaucoup à Aristote[3]. Il aime à retrouver ses idées partout, mais,

  1. On trouvera tous les opuscules de Leibniz concernant Descartes dans le IVe volume de l’éd. Gehrardt, p. 274-405.
  2. Voy. la thèse de M. H. Marion, Franciscus Glissonius, et son élégante Étude de la Revue philosophique (1882, t. XIV, p. 121).
  3. Voy. M. D. Nolen, Quid Aristoteli Leibnitzius debuerit, thèse latine. N’ou-