Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chaque autre ; car il n’y a jamais dans la nature deux êtres, qui soient parfaitement l’un comme l’autre, et où il ne soit possible de trouver une différence interne ou fondée sur une dénomination intrinsèque.

10[1]. Je prends aussi pour accordé que tout être créé est sujet au changement, et par conséquent la Monade créée aussi, et même que ce changement est continuel dans chacune.

11[2]. Il s’ensuit de ce que nous venons de dire, que les


    comme rond, carré, et d’autres qu’on peut nommer extérieurs, parce qu’ils sont pris de quelque chose qui n’est pas dans la substance, comme aimé, vu, désiré, qui sont des noms pris des actions d’autrui ; et c’est ce qu’on appelle dans l’école dénomination externe. (Voy. part. Ire, chap. ii.)

  1. Tout être créé est sujet au changement. — En vertu de son imperfection. La monade, selon Leibniz, en vertu de l’appétition qui est en elle, tend sans cesse à passer d’une perception à une autre. C’est cette tendance qui est la véritable cause du changement, et non les circonstances extérieures, et c’est pourquoi ce changement est continuel comme l’action d’un ressort. C’est aussi celle tendance qui constitue toute la réalité du mouvement, « car le corps n’est pas seulement au moment actuel de son mouvement dans le lieu qui lui est mesuré, mais il fait effort pour changer de lieu, de manière que l’état suivant soit par lui-même et par la force de la nature la conséquence du précédent ; autrement, au moment actuel, et par conséquent, à un moment quelconque, le corps A, qui est mû par le corps B, ne différerait en rien d’un corps en repos… ; il en résulterait qu’il n’y aurait plus aucune différence dans les corps, puisque dans le plein d’une masse uniforme par elle-même il ne peut y avoir d’autre différence que celle qui regarde le mouvement. Enfin, il en résulterait encore qu’il n’y a absolument aucune variation dans les corps et qu’ils demeurent toujours dans le même état… Ce ne serait que par une dénomination extrinsèque qu’on distinguerait une partie de matière d’une autre. » (De ipsa natura, éd. Janet, t. II, p. 563.) Ainsi le mouvement prouve le changement : en d’autres termes, le corps en mouvement, outre le changement de rapports avec ce qui l’entoure, change véritablement en lui-même, et Leibniz critique avec raison la définition que Sturm donnait du mouvement : « Le mouvement n’est que l’existence successive de la chose en différents lieux. » C’est en partant de cette fausse idée du mouvement que Zénon put soutenir que la flèche qui vole n’est pas en mouvement. On voit donc que Leibniz est fondé à dire que le changement est continuel dans chaque monade : le mouvement, qui est pour l’imagination la réalité et pour l’intelligence le symbole de ce changement interne incessant, est le caractère le plus frappant du monde extérieur où, comme disait Héraclite, « tout est dans un flux perpétuel. »
  2. Principe interne. — Leibniz nous renvoie lui-même à deux paragraphes de la Théodicée, où l’action de ce Principe interne est mise dans son meilleur jour. « Je soutiens que toutes les Âmes, Entéléchies ou Forces primitives, Formes substantielles, Substances simples ou Monades, de quelque nom qu’on les puisse appeler, ne sauraient naître naturellement ni périr. Et je ne conçois les qualités ou les forces dérivatives, ou ce qu’on appelle formes accidentelles, comme les modifications de l’Entéléchie primitive ; de même que les figures sont des modifications de la matière. C’est pourquoi ces modifications sont dans un changement perpétuel, pendant que la substance simple demeure. » (Théod., § 396.) Il va sans dire que, par l’entéléchie primitive, Leibniz désigne l’âme, la monade individuelle, et non Dieu, la monade des monades : autrement, il ferait ici profession de panthéisme, ce qui est fort éloigné de ses intentions. Il ajoute un peu plus loin : « J’avoue que l’âme ne saurait remuer les organes par une influence physique, car je crois que le corps doit avoir été formé de