Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/49

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par degrés, quelque chose change et quelque chose reste ; et par conséquent il faut que dans la substance simple il y ait une pluralité d’affections et de rapports, quoiqu’il n’y en ait point de parties.

14[1]. L’état passager, qui enveloppe et représente une multitude dans l’unité ou dans la substance simple, n’est autre chose que ce qu’on appelle la Perception qu’on doit distinguer de l’aperception ou de la conscience, comme il paraîtra dans la suite. Et c’est en quoi les cartésiens ont fort manqué, ayant compté pour rien les perceptions dont on ne s’aperçoit pas. C’est aussi ce qui les a fait croire que les seuls Esprits étaient des Monades, et qu’il n’y avait point d’Âmes des Bêtes ni d’autres Entéléchies ; et qu’ils ont confondu avec le vulgaire un long étourdissement avec une mort à la rigueur, ce qui les a fait encore donner dans le préjugé scolastique des âmes entièrement séparées, et a même confirmé les esprits mal tournés dans l’opinion de la mortalité des âmes.


    dans l’autre, il faut que les suites ou événements (ou ce qui est demandé) le fassent aussi. Ce qui dépend encore d’un principe plus général, savoir : Datis ordinatis etiam quæsita sunt ordinata. Mais, pour l’entendre, il faut des exemples. » Et Leibniz, entre autres exemples, donne celui-ci : « Le repos peut être considéré comme une vitesse infiniment petite, ou comme une tardité (sic) infinie. » (Erdm., 105, a.)

  1. Et c’est en quoi les cartésiens ont fort manqué. — Sur les perceptions insensibles, voyez le Ier livre des Nouveaux Essais. On ne peut pas dire que les cartésiens aient entièrement ignoré les perceptions inconscientes, puisqu’ils admettent que l’âme, substance pensante, pense toujours, même pendant le plus profond sommeil, et, par conséquent, qu’il n’y a pas de sommeil sans rêves. Seulement, ils n’ont pas su tirer, de ces faits d’obscure perception, le parti qu’en a tiré Leibniz. C’est ainsi que, pour ne pas accorder la pensée à l’animal, ils en font une simple machine. De même Spinoza, qui voit dans les passions des pensées inadéquates, professe une doctrine analogue à celle de Leibniz, malgré les différences de langage. Si l’on invoquait contre Leibniz son propre principe de continuité, on prouverait aisément qu’il n’est pas aisé ni peut-être possible de tracer une ligne de démarcation bien nette entre les perceptions et les aperceptions. Il semble qu’il ne puisse exister de perception toute pure, sans commencement d’aperception ; car, d’où viendrait la conscience ? Son apparition serait surnaturelle. Un mouvement ne peut venir naturellement que d’un mouvement, et cette qualité nouvelle et essentielle de la conscience ne peut venir que d’une conscience antérieure ; donc, il y a déjà de l’aperception dans la perception.

    Les âmes entièrement séparées ; opinion de la mortalité des âmes. — Leibniz, on le verra, soutient que l’âme ne saurait exister sans organisme, et qu’une immortalité, purement psychique, est inintelligible. Il accuse donc Descartes d’être trop platonicien sur ce point, mais Descartes ne s’est jamais expliqué nettement sur la nature de l’immortalité, et n’a dit nulle part que l’âme pût effectivement s’abstraire du corps. Il constate seulement que, dans la méditation, il se bouche les yeux et les oreilles, et impose silence à tous ses sens ;