Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/66

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d’elle qui en soit indépendant, et étant une suite simple de l’être possible, doit être incapable de limites et contenir tout autant de réalité qu’il est possible.

41. D’où il s’ensuit que Dieu est absolument parfait ; la perfection n’étant autre chose que la grandeur de la réalité positive prise précisément, en mettant à part les limites ou bornes dans les choses qui en ont. Et là où il n’y a point de bornes, c’est-à-dire en Dieu, la perfection est absolument infinie (§22 ; Préf., *** a).

42[1]. Il s’ensuit aussi que les créatures ont leurs perfections de l’influence de Dieu, mais qu’elles ont leurs imperfections de leur nature propre, incapable d’être sans bornes. Car c’est en cela qu’elles sont distinguées de Dieu. Cette imperfection originale des créatures se remarque dans l’inertie naturelle des corps (§§ 20, 27-31, 153, 167, 377, sqq.).


    enfin, que Leibniz se montre extrêmement sévère pour Spinoza, ce qui n’est pas toujours une raison suffisante de distinguer deux systèmes, puisque Malebranche qui s’en rapproche encore davantage, use envers lui d’une sévérité qui va jusqu’à l’injure.

  1. Incapables d’être sans bornes. — C’est le développement de l’adage scolastique bonum habet causam efficientem, malum autem deficientem. Que faut-il entendre par cette cause déficiente ? On le saura en rapprochant deux passages de Leibniz, l’un tiré de l’Origine radicale des choses, où il explique la nature des possibles, l’autre de la Théodicée où il montre que la réceptivité de la créature est nécessairement bornée : « Nous devons reconnaître que, par cela même qu’il existe quelque chose plutôt que rien, il y a dans les choses possibles, c’est-à-dire dans la possibilité même ou dans l’essence, un certain besoin d’existence et pour ainsi dire quelque prétention à l’existence, en un mot que l’essence tend par elle-même à l’existence. Il suit de là, que toutes les choses possibles, c’est-à-dire exprimant l’essence ou la réalité possible, tendent d’un droit égal à l’existence selon leur quantité d’essence réelle, ou selon le degré de perfection quelles renferment : car la perfection n’est rien autre chose que la quantité d’essence. » (Janet, t. II, p. 517.) Il résulte de là, que chaque créature a justement le degré de réalité ou de perfection qu’elle mérite : Dieu est innocent de ses imperfections, puisque ces imperfections des créatures dérivent de leur essence, et que Dieu ne crée pas les essences, mais seulement les existences. « Le courant est la cause du mouvement du bateau, mais non pas de son retardement. Dieu est la cause de la perfection dans la nature et dans les actions de la créature, mais la limitation de la réceptivité de la créature est la cause des défauts qu’il y a dans son action. » (Erdm., 512, b.) Si les bateaux les plus chargés restent en arrière, tandis que les plus légers vont en avant, comme c’est le même fleuve qui les entraîne, la même cause qui agit sur eux avec le même degré d’énergie, il faut que la réceptivité des premiers soit plus bornée que celle des autres, et le fleuve n’en peut mais, « Et Dieu est aussi peu la cause du péché que le courant de la rivière est la cause du retardement du bateau. La force aussi est à l’égard de la matière, comme l’esprit est à l’égard de la chair ; l’esprit est prompt et la chair est infirme, et les esprits agissent.
    Quantum non noxia corpora tardant. (ibid.)