Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/73

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les idées de Dieu une Monade demande avec raison, que Dieu en réglant les autres dès le commencement des choses, ait égard à elle. Car puisqu’une Monade créée ne saurait avoir une influence physique sur l’intérieur de l’autre, ce n’est que par ce moyen que l’une peut avoir de la dépendance de l’autre (§§ 9, 54, 65, 66, 201 ; Abr., obj. 3).

52[1]. Et c’est par là, qu’entre les Créatures les Actions et Passions sont mutuelles. Car Dieu, comparant deux substances simples, trouve en chacune des raisons, qui l’obligent à y accommoder l’autre ; et par conséquent ce qui est actif à certains égards est passif suivant un autre point de considération : actif en tant que ce qu’on connaît distinctement en lui, sert à rendre raison de ce qui se passe dans un autre ; et passif en tant que la raison de ce qui se passe en lui, se trouve dans ce qui se connaît distinctement dans un autre (§ 66).

53[2]. Or, comme il y a une infinité d’Univers possibles


    aurait mieux dit que Dieu commande toujours et qu’il est toujours obéi… Comme sa volonté est toujours la même, on ne peut point dire qu’il n’obéit qu’à celle qu’il avait autrefois. » (Abrégé de la Controverse, Erdm., p. 628, b.)

  1. Les actions et les passions sont mutuelles. — C’est ce qui fait l’unité de l’univers : « J’appelle monde toute la suite et toute la collection de toutes les choses existantes, afin qu’on ne dise point que plusieurs mondes pouvaient exister en différents temps et en différents lieux : car il faudrait les compter tous ensemble pour un monde, ou, si vous voulez, pour un univers. » (Théod., §8.) Aristote avait dit déjà que le monde ne pouvait être formé d’épisodes décousus, comme une mauvaise tragédie.
  2. Il y a une infinité d’univers possibles… et il n’en peut exister qu’un seul. — Parce qu’il faut distinguer avec soin les possibles et les compossibles. Un univers possible est un ensemble d’êtres simultanément possibles. Les êtres qui s’excluent réciproquement ne sauraient faire partie du même univers, mais ils pourraient être réalisés dans des univers différents : un Tarquin vertueux est incompatible avec l’univers actuel, mais Tarquin eût pu être vertueux si Dieu avait fait choix d’un autre univers. Pourquoi n’a-t-il pas choisi cet autre univers pour le réaliser ? parce que, meilleur dans un détail particulier, il eût été plus mauvais dans l’ensemble. Dans le mythe qui termine la Théodicée, Minerve (c’est-à-dire la pensée ou la sagesse de Dieu) explique ce choix à Théodore, le prêtre de Jupiter (la puissance de Dieu) : « Les appartements allaient en pyramide ; ils devenaient toujours plus beaux, à mesure qu’on moulait vers la pointe, et ils représentaient de plus beaux mondes. Ou était, enfin, dans le suprême qui terminait la pyramide et qui était le plus beau de tous ; car la pyramide avait un commencement, mais on n’en voyait point la fin ; elle avait une pointe, mais point de base ; elle allait croissant à l’infini. » Cette pyramide, que Théodore voit en songe, c’est l’ensemble des mondes possibles : il y en a une infinité ; un d’entre eux est le meilleur de tous, et voilà pourquoi la pyramide a un sommet ; mais elle n’a point de base, car il n’y a pas de monde si imparfait qu’on n’en puisse concevoir un plus imparfait encore ; les degrés du néant, pour ainsi dire, sont infinis ; le néant seul est inintelligible et irréalisable ; la