Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/81

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a quelque mouvement propre : autrement il serait impossible que chaque portion de la matière pût exprimer l’univers (Prélim., §70 ; Théod., §195).

66[1]. Par où l’on voit qu’il y a un Monde de Créatures, de Vivants, d’Animaux, d’Entéléchies, d’Ames dans la moindre partie de la matière.

67[2]. Chaque portion de la matière peut être conçue comme un jardin plein de plantes, et comme un étang plein de poissons. Mais chaque rameau de la plante, chaque membre de l’animal, chaque goutte de ses humeurs est encore un tel jardin, ou un tel étang.

68[2]. Et quoique la terre et l’air interceptés entre les plantes du jardin, ou l’eau interceptée entre les poissons


  1. Leuwenhoeck. « Les recherches des modernes nous ont appris, et la raison l’approuve, que les vivants dont les organes nous sont connus, c’est-à-dire les plantes et les animaux, ne viennent point d’une putréfaction ou d’un chaos, comme les Anciens l’ont cru, mais de semences préformées, et, par conséquent, de la transformation des vivants préexistants. Il y a de petits animaux dans les semences des grands, qui, par le moyen de la conception, prennent un revêtement nouveau, qu’ils s’approprient, et qui leur donne le moyen de se nourrir et de s’agrandir, pour passer sur un plus grand théâtre, et faire la propagation du grand animal. » (Princ. de la Nat. et de la Gr., §6.) Il dit dans le même ouvrage : « C’est ici que les transformations de MM. Swammerdam, Malpighi et Leuwenhoeck, qui sont des plus excellents observateurs de notre temps, sont venues à mon secours. »
  2. a et b Un jardin plein de plantes, un étang plein de poissons. — La Pathologie cellulaire de Virchow est le commentaire physiologique de ces vues de Leibniz. Chaque cellule est un animalcule qui a sa vie propre, son évolution individuelle, qui se reproduit, et finalement meurt et fait place à d’autres. Haeckel, interprétant cette théorie, a même inventé et esquissé une Psychologie cellulaire, où il est question d’âmes cellulaires et de cellules psychiques. On voit que ces théories nouvelles n’ont rien, au fond, qui choque et contredise les idées de Leibniz ; il les avait, au contraire, prévues et annoncées. Cette invasion de la physiologie, en psychologie, n’aurait donc rien qui l’effrayât : plus il y aura de foyers de vie, plus il y aura d’âmes à étudier, car qui dit vie, dit spontanéité, et qui dit spontanéité, nie le mécanisme géométrique. Dans le sang d’un homme fait, il y aurait jusqu’à soixante billions de globules cellulaires. Dans la substance cérébrale, le nombre des cellules et des fibres cérébrales, sans atteindre un chiffre aussi effrayant, est encore considérable. M. Luys fait le calcul suivant sur le nombre des cellules de l’écorce cérébrale : « Sur un espace égal à un millimètre carré de substance corticale, ayant en épaisseur un dixième de millimètre, on compte en moyenne cent à cent vingt cellules nerveuses de volume varié. Que l’on suppute maintenant, par imagination, le nombre de fois que cette petite quantité de substance corticale est en rapport avec l’ensemble, on arrivera à une évaluation de plusieurs milliers. » (Le Cerveau et ses Fonctions, p. 11.) Le même savant ajoute : « L’imagination reste confondue quand on pénètre dans le monde de ces infiniment petits, où l’on retrouve ces mêmes divisions infinies de la matière, qui frappent si vivement l’esprit dans l’étude du monde sidéral ; et lorsque, assistant ainsi aux mystérieux détails de l’organisation d’un élément anatomique qui ne se révèlent qu’à un grossissement de sept cents à huit cents diamètres, on vient à penser que ce même élément anatomique se répète par milliers dans toute l’épaisseur de l’écorce cérébrale, on ne peut s’empêcher d’être saisi d’admiration. (Ibid.)