Page:Lemaître - Corneille et la Poétique d’Aristote, 1888.djvu/85

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dure plusieurs jours, bien qu’il n’ait que vingt-quatre heures : il invente maintenant un lieu incertain, indéterminé, qui peut représenter jusqu’à cinq lieux différents et qui n’est pourtant qu’un seul lieu. « Les jurisconsultes, dit-il. admettent des fictions de droit ; et je voudrais, à leur exemple, introduire des fictions de théâtre, pour établir un lieu théâtral qui ne serait ni l’appartement de Cléopâtre, ni celui de Rodogune, dans la pièce qui porte ce titre, ni celui de Phocas, de Léontine, ou de Pulchérie dans Héraclius, mais une salle sur laquelle ouvrent ces divers appartements, à qui j’attribuerais deux privilèges : l’un, que chacun de ceux qui y parleraient fût présumé y parler avec le même secret que s’il était dans sa chambre ; l’autre, qu’au lieu que dans l’ordre commun il est quelquefois de la bienséance que ceux qui occupent le théâtre aillent trouver ceux qui sont dans leur cabinet pour parler à eux, ceux-ci pussent les venir trouver sur le théâtre, sans choquer cette bienséance, afin de conserver l’unité de lieu et la liaison des scènes. »

Il parle ici de « fictions de théâtre ». Voilà qui va bien. C’est ce que nous appelons aujourd’hui les conventions. Que les personnages de la tragédie parlent en vers, convention ! Qu’ils se rencontrent toutes les fois qu’ils ont quelque chose à se dire, convention ! Qu’ils parlent tout haut quand ils sont seuls, convention ! Que le poète développe sous nos yeux une seule action, tandis qu’il n’en est point, dans le monde réel, qui ne soit mêlée à une foule d’autres et