Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/111

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faussée par ce fait que, s’il s’examine, c’est pour se confesser non à un seul, ni à un homme revêtu d’un caractère sacré, mais à tout le monde, et qu’il est moins attentif à recueillir le fruit moral de son examen qu’à saisir les effets publics de sa confession. A cause de cela, et parce que, tandis qu’un de ses yeux est tourné en dedans, l’autre louche vers l’extérieur, on peut dire que ce solitaire qui s’est tant raconté ne s’est peut-être pas très bien connu et s’est presque constamment illusionné sur son propre compte. S’aimer à l’excès empêche de se connaître, et réciproquement. A peine a-t-il résolu d’être meilleur qu’il se croit déjà meilleur.

Le grand ennemi des sciences et des lettres, des arts et du luxe est plus que jamais répandu dans le monde du luxe, des lettres, des sciences et des arts. Il grogne d’être envahi, mais il se laisse envahir. Il continue à faire de la littérature et de la musique. Il fait jouer Narcisse (sans succès) à la Comédie-Française en 1752. Vers le même temps, il compose le Devin du Village. Et la contradiction est si flagrante entre ses maximes et ses occupations que lui-même s’en aperçoit et qu’il écrit, pour s’en justifier, la curieuse préface de Narcisse, imprimée en 1753.

Il y reprend d’abord sa thèse. Il affirme que le goût des lettres « ne peut naître que de deux mauvaises sources, à savoir l’oisiveté et le désir de se distinguer » (désir dont apparemment il était lui-même exempt). Quant à la science,