Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/130

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Notez qu’il n’est guère possible que cette niaise adoration de l’égalité soit sincère chez un homme qui sent sa supériorité intellectuelle et qui en jouit avec un orgueil démesuré. — A moins qu’il ne soit dans la disposition d’esprit de ce jeune socialiste qui, dans une réunion politique, répliquait à un de mes amis : « Mais ce que nous voulons, ce n’est pas que tout le monde soit heureux, c’est que tout le monde soit aussi malheureux que nous. »

Mais non, ce ne peut être cela, puisque Rousseau, au contraire, ne s’intéresse qu’à notre bonheur. Tout simplement, c’est que son rôle le tient. C’est qu’il lui faut étonner les marquises, les fermiers généraux et les philosophes. C’est qu’il lui faut renchérir sur le Discours des sciences et des arts. Ah ! le pauvre homme, comme il s’y applique ! Ce n’est pas le paradoxe léger, si cher à son temps. C’est le défi à la raison, tout cru, tout nu, et sans esprit, puisque Rousseau n’en a pas et qu’il est condamné au sérieux dans l’absurde. — Mais on est vraiment étonné d’une pareille débilité de pensée, après les grands livres du XVIIe siècle et ceux même de Montesquieu et de Buffon. Que ce livre ait eu un tel retentissement et une telle influence, voilà une des plus fortes démonstrations qu’on ait vues de la bêtise humaine.

Mais on peut dire aussi :

— Oui, le Discours sur l’inégalité pourrait être une chose assez plate, sans le style, l’accent, le