Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/139

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parfait Honnête homme, se dit seulement « ami de la vertu », ce qui est déjà bien joli.)

Cette ivresse avait commencé dans ma tête, mais elle avait passé dans mon cœur. Le plus noble orgueil y germa sur les débris de la vanité déracinée. Je ne jouai rien, je devins en effet tel que je parus, et pendant quatre ans au moins que dura cette effervescence dans toute sa force, rien de beau et de grand ne peut entrer dans un cœur d’homme dont je ne fusse capable entre le ciel et moi. Voilà d’où naquit ma subite éloquence, voilà d’où se répandit dans mes premiers livres ce feu vraiment céleste qui m’embrasait…

J’étais vraiment transformé ; mes amis, mes connaissances ne me reconnaissaient plus. Je n’étais plus cet homme timide et plutôt honteux que modeste, qui n’osait ni se présenter, ni parler, qu’un mot badin déconcertait, qu’un regard de femme faisait rougir. Audacieux, fier, intrépide, je portais partout une assurance d’autant plus ferme qu’elle était simple et résidait dans mon âme plus que dans mon maintien. Le mépris que mes profondes méditations m’avaient inspiré pour les mœurs, les maximes et les préjugés de mon siècle, me rendait insensible aux railleries de ceux qui les avaient, et j’écrasais leurs petits bons mots avec mes sentences comme j’écraserais un insecte entre mes doigts. Quel changement ! Tout Paris répétait les âcres et mordants sarcasmes de ce même homme qui, deux ans auparavant et dix ans après, n’a jamais su trouver la chose qu’il avait à dire ni le mot qu’il devait employer.

Tudieu ! quel homme ! Et que va-t-il faire, ce terrible auteur des deux Discours, ce contempteur les mœurs, des maximes et des préjugés de la