Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/16

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livres, l’histoire d’une âme, d’une pauvre âme, une très lente mais très véritable évolution morale… Et je pouvais grouper, sous ces divers chefs, tout ce que m’aurait suggéré la lecture de Rousseau. — Le plus simple était d’ailleurs, à première vue, de présenter d’abord sa vie, puis ses ouvrages.

Mais j’ai vite senti que cette méthode usuelle, et qui convient à presque tous les écrivains, ne convient peut-être pas à Rousseau, parce que Rousseau n’est pas un écrivain comme un autre.

Les grands classiques sont pour nous tout entiers dans leurs œuvres. Cette œuvre étant toute objective, quand nous l’avons définie, nous avons tout dit sur eux ; et la connaissance de leur vie, même agitée, n’ajouterait pour nous rien d’essentiel à la connaissance de leurs ouvrages. J’en dis autant des écrivains du XVIIIe siècle et des encyclopédistes eux-mêmes. La vie des Diderot, des d’Alembert, des Duclos est la vie commune aux gens de lettres de ce temps-là. La vie de Voltaire est amusante ; mais, quand nous ne la connaîtrions pas, son oeuvre n’en serait pas moins facile à comprendre et à juger. Quant à Montesquieu et à Buffon, leur biographie ne communique, pour ainsi parler, avec leurs livres que par les loisirs et la sérénité qu’assurait à leur pensée leur condition de gentilhommes riches…

Mais Rousseau est le plus « subjectif » de tous les écrivains. C’est un homme qui n’a guère parlé que de lui, un homme qui a passé son temps à