Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/212

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Pourtant (et cela est fort bien vu), Julie n’atteint pas tout d’un coup à la parfaite sagesse. Elle a l’imprudence de dire : « Soyez l’amant de mon âme », parole dangereuse qui se répercutera dans des centaines et des milliers de romans du XIXe siècle. Ce n’est pas tout. Quand elle s’est laissée marier, n’ayant encore qu’une conscience hésitante et divisée, elle avait juré à son père de ne pas avouer sa conduite passée à M. de Wolmar. Maintenant qu’elle réfléchit et qu’elle a trouvé sa lumière, ce secret lui pèse cruellement. « Car, dit-elle, une sincérité sans réserve fait partie de la fidélité que je dois à mon mari. » Elle croit devoir consulter là-dessus Saint-Preux lui-même. La question est du plus haut intérêt. Elle est du même ordre (malgré les différences de détail), que celle qui est agitée dans Monsieur Alphonse, dans le Jacques de George Sand, dans la Dame de la Mer d’Ibsen, même dans la Princesse de Clèves.

Saint-Preux déconseille à Julie l’aveu, pour des raisons spécieuses. Elle répond, il réplique. La discussion est très serrée et fort belle. Julie, incertaine encore, attendra. Mais elle a le courage de donner à Saint-Preux un congé définitif : « Il est temps de devenir sage. Voilà la dernière lettre que vous recevrez de moi, je vous supplie de ne plus m’écrire. » Saint-Preux veut se tuer. Il ne se tue pas, mais il s’embarque pour trois ans.

Julie a maintenant vingt-huit ans. Voilà six ans qu’elle est mariée. Son secret lui pèse de plus