Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/259

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Oui, c’est une manie de Rousseau. Il faut que Sophie soit souillée comme Julie, afin de pouvoir remonter à la vertu comme Julie, — et comme Jean-Jacques lui-même, dont je vous ai déjà dit que la vie est une évolution morale, une purification achevée par la démence.

Émile s’enfuit désespéré. Puis il réfléchit, il se rappelle les leçons de stoïcisme de son maître ; il trouve des excuses à Sophie ; il admire même ce qu’elle a gardé de franchise et de vertu dans la faute. Il lui pardonne, mais il s’en ira, loin, avec son fils.

En attendant, il travaille, à quelques lieues de Paris, chez un menuisier, pour fatiguer son corps et épuiser sa peine. Sophie l’y retrouve, n’ose entrer dans l’atelier, mais s’écrie à mi-voix, en regardant l’enfant dont elle est accompagnée : « Non, jamais il ne voudra t’ôter ta mère ; viens, nous n’avons rien à faire ici. »

Et, en effet, Émile renonce à emmener l’enfant et part seul, à pied. Puis il s’engage comme matelot, est pris par un corsaire. Captif en Alger, il se signale par sa patience, sa douceur, son courage, et devient l’esclave du dey, qui a de la considération pour lui.

Ici s’arrête le roman, et nous nous disons : A quoi a servi l’éducation si spéciale d’Émile, puisque, venu à Paris, il s’est mis à y vivre comme tout le monde ? — Elle lui a servi, dira Rousseau, à se ressaisir, à se montrer juste et bon envers Sophie,