Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/28

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Il y a ensuite, dans Jean-Jacques, un pauvre enfant très déraisonnablement élevé, passant des nuits à lire des romans avec son père, nourri de d’Urfé et de La Calprenède (avec du Plutarque, il est vrai, par-dessus), abandonné par son père à l’âge de huit ans, et qui, à partir de dix ans, ne fut plus élevé du tout et devint, il le dit lui-même, à plusieurs reprises, un polisson, un larron, un parfait vaurien.

Il y a aussi un enfant, puis un adolescent, puis un homme d’une sensibilité extraordinaire, et extraordinairement imaginative, — cette sensibilité qui le fera se jeter dans les bras de ses amis en les arrosant de larmes, et mouiller de pleurs tout le devant de son gilet le jour où lui vint la première idée de son Discours sur les Sciences et les Arts. Sensibilité étroitement jointe à un orgueil également extraordinaire, par la conscience qu’il a de cette délicatesse de nature et aussi de sa supériorité intellectuelle. Et, par un jeu naturel, les blessures de sa sensibilité exaspèrent son orgueil, et son orgueil lui rend plus douloureuses les blessures de sa sensibilité. — Et c’est « l’homme sensible » qui fera du sentiment le fondement de la morale, et qui écrira la plus grande partie de la Nouvelle Héloïse et de l’Émile.

C’est justement par cette sensibilité et cet orgueil que s’explique la plus mauvaise action de son adolescence, « l’histoire du ruban ». C’est à Turin, après la mort de cette madame de Vercellis dont