Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/296

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disant : « Si je le touche, signe de salut ; si je le manque, signe de damnation. » Mais ses terreurs se calmèrent sous l’influence de deux bons pères jésuites et de madame de Warens. Celle-ci avait la religion la plus confiante. Elle était « quiétiste » (Aimez Dieu et faites ce que vous voudrez). Madame Guyon avait conservé en Suisse des partisans, avec lesquels madame de Warens était en relations. Et c’est peut-être pourquoi il y a une sorte de quiétisme dans le christianisme latitudinaire et sentimental de Jean-Jacques, — et un peu aussi (pour l’accent) de la tendresse de Fénelon et de l’ancien évêque de Genève et prévôt de l’église d’Annecy, François de Sales.

Ce spiritualisme ému et religieux, ce demi-christianisme de Rousseau sera celui de Bernardin de Saint-Pierre ; il sera bien souvent, avec des nuances, celui de Chateaubriand ; celui de Lamartine, dont le Jocelyn devra beaucoup au vicaire savoyard ; il sera souvent celui de George Sand, même de Michelet jeune, et de Victor Hugo.

Le spiritualisme pris de cette manière est si bien une religion capable d’agir sur la vie, que, jusqu’au milieu du XIXe siècle et jusque dans la première moitié du second Empire, nous avons eu, dans la bourgeoisie française et même parmi les paysans (j’en ai connus), des aïeux et des pères — en très grand nombre, — dont l’âme vivait de cette religion-là, un peu en marge, mais non tout à fait en dehors du catholicisme de leurs femmes et de leurs